Yvette Alde, Hélène Jousse, Anne Limbour

Naturellement magiciennes

Elles sont artistes, elles sont femmes, elles sont magiciennes.

Trois noms, trois vies, trois œuvres dont il nous revient d’écrire qu’elles se complètent et s’accordent. Pour la première, Yvette Alde (ici joue l’ordre alphabétique), l’affaire est connue depuis longtemps : née en 1911, et formée à l’art moderne dans l’atelier d’André Lhote, elle s’affirma très vite comme une élève naturellement douée, à l’esprit poétique. À quel moment prit-elle son envol? En 1932, lorsqu’elle participa à son premier Salon d’Automne ? Plus tard, quand elle réalisa de longues fresques, notamment pour la cathédrale de Kabgayi dans l’ex-Congo belge ? Plus tard encore, quand elle fit entrer ses toiles dans les musées, à Cognac, Djakarta, Elath, Grenoble, Paris, Toulouse, Tel-Aviv, San Francisco ? Chose sûre, son travail a compté. « Dans ses compositions, elle mêle souvent le rêve, l’imaginaire, à la réalité », résume le Dictionnaire Bénézit. On s’étonne que pas un mot ne soit glissé sur la marque qui fut régulièrement la sienne : l’emploi de pâtes généreuses, colorées, virevoltantes, capables de la mener aux confins d’une certaine abstraction… Cependant, son idée de la peinture la retenait; d’une touche classique, elle revenait à la ligne, mais sans rien dissiper du trouble qu’elle avait suscité. Jeu subtil, en somme, magnifié par un joli nom : la magie. Jusqu’à sa disparition prématurée, en 1967, Yvette Alde fut une formidable magicienne.

Et nos hôtes, Hélène Jousse, Anne Limbour, si imprévisibles, si vivantes? Des magiciennes, elles aussi? Oui, assurément, puisqu’elles raniment la belle invitation de Jean Cocteau : « À l’impossible je suis tenu. » Ainsi d’Hélène Jousse, artiste née en 1964, et née à la sculpture dans le milieu des années quatre-vingt. De cette époque, la critique garde le souvenir de corps souples et vibrants aux muscles de bronze : traduction habile dans laquelle d’aucuns pouvaient lire une vague filiation avec les formes épurées d’Alberto Giacometti… Puis, de rêve en rêve, et de plâtre en plâtre, témoins d’une lente maturation, naquirent ces sculptures inattendues que le Centre Cristel Éditeur d’Art est aujourd’hui heureux de mettre en lumière : selon l’expression même d’Hélène Jousse, des « visages-rubans ». Des œuvres fines, hautes, élevées, fluides, qu’un des maîtres de l’art contemporain, le Néerlandais Mark Brusse, admira aussitôt sans réserve. Leur secret? Des yeux qui ne voient pas, des lèvres qui ne remuent pas — et, pourtant, cette sensation envoûtante d’une indiscutable présence…

Magicienne… Pour ce don rare, si puissant, si précieux, peut-être Anne Limbour devrait-elle réclamer une place de choix. Cette plasticienne bretonne, née à Fougères en 1971, n’est-elle pas l’auteur d’un monde totalement inventé, totalement onirique ? En peu de mots, des poissons, quelquefois des hippocampes et des méduses issus, non point des grands fonds, mais du ciel et de l’air! On croit du reste entendre une autre tirade de Cocteau : « La source désapprouve presque toujours l’itinéraire du fleuve »… Manière de dire, évidemment, qu’il fallait une mystérieuse liberté, et une inépuisable féerie, pour transformer sa quête primitive — des plumes d’oiseaux, des rémiges — en invraisemblables essaims de poissons. Maîtrise d’orfèvre, donc, où le ciseau qui découpe et la main qui dispose, ne sont que les instruments d’une re-création singulièrement spirituelle. On pense, par association, à ces merveilleuses novatrices, désormais muséales, qu’ont été et demeurent Line Vautrin, Simone Pheulpin, Bernadette Chéné, Jagoda Buic, Olga de Amaral… Anne Limbour est de leur sang.

Christophe Penot

Éditeur d’art